La fin de l'année s'annonce, avec son cortège de copies à corriger.
Même si les étudiants ne revoient jamais les leurs, à l'université c'est la règle,
je ne peux pas m'empêcher de corriger les fautes d'orthographe. C'est plus fort que moi.
Inutile de vous dire qu'on voit de tout.
Il est vrai que le français écrit est assez complexe. Cependant, il y a des erreurs qui relèvent de la simple négligence. Mettre un "s" au pluriel d'un nom, n'est pas une tâche très compliquée, et pourtant....
Je faisais remarquer à un de mes jeunes élèves que, "les arbres" prenait un "s" à la fin de "arbre". Réponse de l'intéressé:
" Mais on le sait que c'est le pluriel, il y a "les" devant!
" Certes, "on" le sait...
Que répondre à un élève de onze ans, excédé par ses 0 en dictée et par les cours supplémentaires que ses parents, conscients de l'importance de l'écrit dans la suite de son cursus, s'obstinent à lui faire prendre?
J'aurais pu lui répondre que tout au long de sa vie, tout ce qu'il allait écrire serait lu par ce qu'on appelle des lecteurs experts.
Que le cerveau de ces lecteurs, ne transforme pas en sons ce qu'ils lisent, pour le comprendre, mais qu'il
passe directement du signe écrit au sens. comment-lit-on?
Que pour faire cela, il est probable que le cerveau procède par élimination en comparant de façon totalement automatisée, les bigrammes (couples de lettres) présents dans le mot lu, avec ceux présents dans les mots qu'il a en mémoire. En une fraction de seconde, il rejette les mots incompatibles, pour ne garder que le plus probable.
J'aurais pu aussi lui dire, que l'œil du lecteur expert vole au-dessus du texte et que sa structure
ne lui permet de voir nettement, qu'une ou deux lettres sur sept ou plus. Que de plus, il ne fixe pas les lettres dans l'ordre, mais bouge par saccades. (voir image au début)
J'aurais pu lui dire, que cette fonction merveilleusement complexe, qu'est le processus de la lecture, qui permet de lire si vite, est, comme toute machine sophistiquée, sensible à tout ce qui peut entraver son processus.
J'aurais pu lui répondre qu'un jour, il écrirait peut-être un merveilleux texte, plein de sens et de poésie et que son lecteur n'en verrait rien, parce que son cerveau serait trop occupé à compenser le surcoût d'attention, provoqué par les fautes d'orthographe.
J'aurais pu lui dire que l'écrit sert à communiquer, et que faire en sorte de faciliter la compréhension de celui qui nous lit, relève de la plus élémentaire courtoisie.
Je lui ai finalement répondu, que son point de vue était tout à fait intéressant.
Je l'ai encouragé, à faire des études de linguistique. Ainsi, un jour, s'il n'avait pas changé d'avis, il pourrait mettre tout son poids de grammairien reconnu, dans le combat pour la simplification de l'orthographe.
En attendant ce moment: "les arbres" s'écrit avec un "s".
C.A.
Vous avez sans doute remarqué que les difficultés à l'écrit sont au centre de multiples débats dans tous les média.
Que faire ? Comment ? Avec quels moyens ? Les méthodes qui marchent, celles qui auraient pu marcher... C'est un brouhaha constant.
Une nouvelle est pourtant passée, totalement inaperçue. Elle est de celles qui peuvent changer la donne, dans les années à venir, en ce qui concerne les troubles de l'apprentissage de l'écrit.
Une équipe de chercheurs américaine a mis en évidence un marqueur biologique corrélé aux difficultés d'apprentissages de l'écrit.
De nombreux chercheurs, biologistes, neurologues, psycholinguistes ... s'intéressent depuis longtemps au fonctionnement et donc aux dysfonctionnements du langage, oral et écrit.
Voilà quelques années, des tests avaient montré que les enfants et les adultes souffrant de difficultés d'apprentissage de l'écrit, présentaient quand ils effectuaient certaines tâches, un EEG* perturbé, notamment pendant le codage de la consonne d'une syllabe prononcée dans un environnement bruyant.
En d'autres termes, s'ils entendaient une voix enregistrée prononçant une syllabe, dans un environnement bruyant et qu'on enregistrait l'activité électrique de leur cerveau, les courbes qui étaient enregistrées étaient différentes de celles d'un sujet ne présentant pas de troubles de l'apprentissage de l'écrit.
Et alors ? Penseront certains. Et alors ... plus on dépiste tôt
dans l'enfance, les problèmes, plus on a de chances de les régler. C'est le miracle de la plasticité cérébrale.
Mais comment savoir qu'un enfant va avoir des soucis pour apprendre à lire, alors qu'il commence tout juste à parler ?
Les chercheurs de l'université de Chicago ont eu l'idée de s'appuyer sur les résultats des tests dont je viens de vous parler pour aller beaucoup plus loin.
Ils ont regroupé les résultats de toutes les études précédentes testant ce phénomène et ils ont construit un "modèle". Ce que nous appelons "modèle" en recherche, est une construction théorique qui simule un mode de fonctionnement ici du cerveau : "si tout marche bien les courbes obtenues pendant le test devraient être comme ça, et s'il y a un problème on devrait obtenir cela". Je simplifie à l’extrême, bien sûr.
Ensuite, ils ont testé le modèle. Pour cela, l'équipe a fait passer des tests de discrimination de consonnes sous une variante de EEG*, à des enfants d'âge pré-scolaire (113).
Les chercheurs ont choisi des enfants ne présentant aucun trouble psychologique, leur audition a été contrôlée, on a même éliminé tous les enfants bilingues, afin d'éviter que les tests soient faussés.
Ils ont étudié les courbes obtenues et ont "prédit" quels enfants auraient des problèmes d'apprentissage, et quels seraient leurs scores à plusieurs tests de pré- lecture, qui sont couramment pratiqués aux USA après l'entrée à l'école.
Il ne restait plus qu'à attendre qu'ils grandissent pour vérifier.
Les résultats obtenus sont remarquables. Les tests sous EEG pratiqués sur les enfants pré-scolaires, parviennent à prédire à 2 points près, les résultats obtenus 2 et 3 ans plus tard aux tests de pré-lecture.
Il ne fait aucun doute que les résultats de cette recherche ouvrent la voie à la possibilité d'effectuer un dépistage précoce des troubles de l'apprentissage de l'écrit, et de développer des techniques de remédiation applicables, bien avant que ces difficultés ne deviennent un handicap.
Savoir suffisamment tôt, qu'il y a un problème, en ce qui concerne
les troubles du développement est un atout majeur. Espérons que de nombreuses équipes de recherche vont travailler sur cette piste.
Vous pouvez lire la publication du Professeur Travis White-Schwoch et de son équipe auquel se réfère cet article, en cliquant sur le lien.
*électroencéphalogramme.
C.A.