On a l'habitude de dire qu'on apprend plus facilement une langue étrangère lorsqu'on est jeune. C'est vrai ! Mais seulement, si on est vraiment très jeune ! Il existe plusieurs raisons à cette "facilité", différentes, selon qu'on parle de :
la syntaxe (qu'on appelle grammaire à l'école)
du réseau lexical (le vocabulaire, c'est fondamental),
de la phonologie (avoir un bon accent, tout le monde en rêve)
de la nouvelle langue.
Parler une langue sans accent : difficile de reproduire un son qu'on n'entend pas vraiment tel qu'il est !
Même si on en n'a pas toujours conscience, les sons d'une langue lui sont propres. On le constate plus facilement pour les consonnes.
Qui, en apprenant l'espagnol, ne s'est pas énervé sur les différentes
formes du son /s/ ou n'a pas buté sur la différence subtile (tellement qu'en fait elle n'existe pas) entre /v/ et /b/ ?
Mais, ce qui est vraiment ardu, ce sont les voyelles. Elles nous semblent très proches d'une langue à l'autre, et pourtant : le son "i" du français n'a pas la même fréquence et longueur que ceux de l'anglais, par exemple.
Quand un enfant est très jeune, avant 30 mois, il est capable de différencier tous les /i/ de toutes les langues, entre eux. Il les entend tous. En grandissant, il ne va "être sensible" qu'à ceux qu'il entend fréquemment, ceux de la langue ou des langues qu'il parle. À partir de ce moment là, tous les autres /i/, qu'il entendra, seront assimilés à un de ceux qu'il perçoit encore.
Voilà une des causes de ce fameux accent, que les étrangers trouvent souvent si charmant.
Un vocabulaire riche et structuré : l'impact de la "période critique".
La période critique, que certains préfèrent appeler "âge du langage" s'étend de 0 à 7 ans, environ. Pendant ces années, l'acquisition d'une langue se fait à toute vitesse, à condition, que l'enfant soit immergé dans un "bain linguistique".
L'enfant apprend des dizaines de mots par semaine, qui vont s'organiser en un réseau lexical, très structuré, comportant des liens de sens, et des liens phonologiques (sons).
Mais attention ! C'est aussi une période où, faute de pratique, il peut oublier une première langue, même s'il s'agit de sa langue maternelle. Veillez à ce qu'il utilise quotidiennement cette première langue, mais, sans qu'il le ressente comme un "travail" supplémentaire.
Après cette première étape, il continue à apprendre des mots, plus lentement, et de façon moins innée.
À ce stade un enfant bilingue mettra automatiquement en réseau le vocabulaire des deux langues, et établira des liens entre des notions semblables. Parfois, il utilisera un mot d'une langue, au milieu d'une conversation dans son autre langue, sans même s'en rendre compte. C'est un moment où il est utile le faire réfléchir sur ces "switch", afin qu'il les utilise à bon escient, avec tout le recul nécessaire pour que ça soit un atout pour lui, et non un handicap.
La syntaxe : un système inné ou acquis ?
On apprend la grammaire à l'école, mais on développe la syntaxe bien
avant cela.
Si vous observez le langage d'un jeune enfant, vous constaterez que progressivement, il passe de mots isolés (que parfois seul les parents sont capables de décoder) à des phrases très simples, puis plus longues mais, avec peu de mots de liaison, de déterminants ... .
Fait intéressant, l'ordre des mots propre à sa langue est toujours respecté. En clair, aucun enfant ne parle comme Yoda, à quelque stade de développement syntaxique qu'il soit. Tout se passe comme s'il existait des petites cases toutes prêtes, pour accueillir des mots à un endroit précis de la phrase, mais que l'enfant n'avait pas encore de mots à mettre dedans.
Nous aurions donc, une syntaxe pré implantée dans notre cerveau. Au départ, elle est prévue pour s'adapter à toutes les langues.
Elle comprend de grands principes qui leur sont communs. Puis en
fonction de la langue maternelle, elle intègre un certain nombre de paramètres. D'une langue à l'autre, ils sont différents. L'ordre des mots
diffère, certaines langues n'ont pas, ou de très peu, besoin de connecteurs logiques (anglais). Il y a des langues à sujet nul (espagnol, italien) ...
Plusieurs langues, signifie donc, plusieurs systèmes syntaxiques. Les enfants bilingues natifs passent de l'un à l'autre sans difficulté. Tout se déroule comme si le vocabulaire d'une langue activait automatiquement la bonne structure syntaxique.
Par contre, un nouvel apprenant a le réflexe de plaquer le vocabulaire de sa nouvelle langue, dans les petites cases conçues pour recevoir le vocabulaire de sa langue d'origine.
La syntaxe de l'enfant se développe jusqu'à 9 ans environ. Il existe une controverse entre linguistes : une nouvelle langue signifie-t-elle un système syntaxique autonome qui se développe "à côté" du premier ? Ou bien, ce nouveau système est-il une adaptation du premier ? On constate néanmoins, qu'un enfant intègrera plus facilement la syntaxe particulière d'une nouvelle langue.
En tout état de cause, on peut apprendre par cœur toutes les règles de grammaire d'une langue, ce n'est que par la pratique qu'on parvient à faire sienne sa structure grammaticale. En revanche, même si, faute de l'utiliser, le vocabulaire d'une langue semble s'étioler, la structure syntaxique, elle, est bien plus robuste face à l'usure du temps.
Pour conclure
On peut apprendre une langue à tout âge, mais on ne l'apprend pas de la même façon. Un enfant très jeune s'approprie les deux langages, en intégrant leurs caractéristiques en parallèle. De plus, il entend vraiment les sons tels qu'ils sont prononcés, donc, a la capacité de les reproduire à l'identique. À partir de 9 ans, cela devient plus laborieux. le système syntaxique de la langue d'origine semble vouloir s'imposer, et le vocabulaire doit faire l'objet d'un véritable apprentissage.
Dans tous les cas, la recette gagnante est le "bain linguistique" pour acquérir une deuxième langue. Et, si vous vivez à l'étranger, des échanges riches, dans votre langue maternelle avec votre enfant, afin de maintenir, voire, de développer pour les plus petits, son réseau lexical.
Christine Argensse
Psycholinguiste
Auteur de "l'écrit est un jeu d'enfant !"
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