Développer le vocabulaire dès la maternelle, une excellente idée!
Pourquoi?
Comme beaucoup d'entre vous, la radio rythme mes journées. Ce matin, sur France info (lien au bas de cette page) j'ai entendu que notre ministre de l'enseignement souhaitait, que le développement du vocabulaire soit une priorité en maternelle.
Une étude, américaine et un peu ancienne il faut l'avouer, montre des écarts très importants entre l'étendue du vocabulaire des enfants, selon le niveau social des parents.
Une étude plus récente, établit un lien entre l'étendue du vocabulaire et les capacités en lecture.
Vous connaissez mon obsession pour l'écrit, néanmoins, les enjeux d'un bon niveau en vocabulaire dépassent largement l'écrit.
En ce qui concerne l'oralité, un enfant dont le vocabulaire est trop limité, ne comprend pas pleinement ce qu'on lui dit, donc l'interprète. D'autre part, il n'est pas capable d'exprimer vraiment, ce qu'il pense ou ressent.
Communiquer est une fonction naturelle de l'homme. Ne pas comprendre ce qu'on nous dit et ne pas pouvoir se faire comprendre est source de frustration, ce qui peut générer de l'agressivité.
Allez faire un tour dans un pays dont vous ne connaissez pas la langue, et vous verrez très vite ce que je veux dire.
Comprendre le sens des mots est indispensable à toute communication. Lapalissade, diront certains. Pas sûr!
Je lisais récemment, la mésaventure d'un enseignant qui avait eu quelques soucis, parce qu'il avait utilisé le mot "bouffonnerie", et qu'un de ses élèves s'était senti insulté.
Au delà des interactions sociales: le langage structure la pensée.
En d'autres termes, pour réfléchir, analyser, argumenter... ils nous faut des outils: ce sont les mots.
Ils servent à identifier les objets du monde, les actions, mais aussi des éléments abstraits comme les sentiments, les processus de réflexion, et certaines notions éminemment culturelles... la laïcité par exemple.
L'enfant, en augmentant son vocabulaire, gagne en précision, en production (quand il parle) et en réception (quand il écoute).
Vous trouverez sur ce blog un autre article qui détaille l'acquisition du langage chez l'enfant (ici) . Ce processus est naturel et spontané. Il se déroule selon un schéma pratiquement identique, quelle que soit la langue.
Les premiers mots sont ceux qui désignent les objets du monde et les actions courantes. Même s'il s'agit d'un phénomène spontané, il existe une part d'apprentissage.
Un phénomène classique chez l'enfant est la sur-extension de sens: l'enfant qui n'a jamais vu que des chiens, voyant pour la première fois un chat dira:"chien". Nous avons tous le réflexe de corriger ce type d'erreur: le vocabulaire s'étoffe.
Dans le domaine des objets du monde, corriger l'erreur est assez simple, pour certaines actions comme manger, courir...également. Il est d'autres domaines ou c'est bien plus difficile et où, seul un vocabulaire riche permet, par élimination, contraste, comparaison ... de comprendre le sens d'un mot nouveau.
Tous les parents ont en mémoire une phrase bizarre, et souvent drôle, prononcée par leur enfant, qui "testait" un mot qu'il avait mémorisé sans vraiment le comprendre. En lui donnant le mot juste, on permet à l'enfant de redéfinir le sens du mot inapproprié, et de mémoriser le nouveau.
Plus l'enfant comprend de mots, plus les suivants sont simples à apprendre.
Donc, en dehors de toute considération sur l'écrit, l'augmentation du vocabulaire des enfants est indispensable à leur développement intellectuel et social.
En ce qui concerne la lecture, il suffit d'examiner les processus mis en œuvre, pour comprendre l'importance du vocabulaire.
Je réduirai l'action de "lire" à deux grandes étapes, suffisantes à comprendre l'importance du vocabulaire dans les aptitudes à l'apprentissage de la lecture. J'espère que mes collègues linguistes comprendront mon souci de simplification.
Le lecteur débutant doit d'abord, à partir de la forme du mot écrit, retrouver sa forme orale. Dans un deuxième temps, cette forme orale va activer dans sa mémoire le sens associé à ce mot.
Vous comprenez dès lors, que, si le sens cible n'est pas disponible, c'est à dire si l'enfant ne connait pas le sens de ce mot, le processus ne va pas à son terme.
C'est grave! Les enfants dont le vocabulaire est déficient risquent de ne jamais devenir des lecteurs experts, c'est à dire, être capables, en découvrant un texte, de passer directement des mots écrits, au sens.
Mettre l'accent sur l'apprentissage du vocabulaire dès la maternelle est une excellente idée, reste à savoir comment faire. N'oublions pas qu'il s'agit dans ce projet, de très jeunes enfants.
Une des solutions serait de passer par les contes. Les enseignants de maternelle savent que les petits aiment qu'on leur lise des histoires. Celles-ci doivent, tout à la fois, être adaptées à leur âge et introduire du vocabulaire.
Les jeunes élèves sont, en général, attentifs à l'heure du conte, mais encore faut-il vérifier qu'ils ont compris les mots. Ce n'est pas si simple, surtout chez des enfants très jeunes et, plus encore, quand ils sont nombreux.
En ce qui me concerne, je trouve plus efficace de leur faire inventer des histoires. J'utilise cette activité avec les enfants qui me sont confiés.
Cela présente plusieurs avantages:
D'abord, l'enfant est dans une démarche active, ce qui permet de maintenir son attention. Ensuite, on détecte plus rapidement quels mots ne sont pas compris ou connus.
Faire inventer un conte à un groupe d'enfants, suppose que les mots utilisés aient, pour tous, le même sens. Un dialogue entre les enfants s'instaure. Guidés par l'enseignant, ils trouvent le mot juste et comprennent pourquoi, tel autre n'est pas adapté. En plus d'apprendre des mots nouveaux, les enfants les utilisent, ils se les approprient.
Cette approche pédagogique n'est pas la seule, on peut inventer mille petits jeux à partir des mots. Toutefois, elle présente l'avantage de pousser les enfants à manier la langue.
Il est, je crois, important que l'apprentissage d'un vocabulaire riche soit rapidement transcrit dans les pratiques. J'espère que ce ne sera pas qu'un paragraphe dans une circulaire, mais que les enseignants disposeront de supports pédagogiques adaptés.
Par ailleurs, il est souhaitable que cette pratique ne se limite pas à la maternelle.
Dans l'étude américaine, les chercheurs notaient que, les enfants de milieux défavorisés maîtrisaient environ 600 mots, contre 1200 pour ceux des milieux aisés. Cette différence semble énorme et pourtant...
Si chaque jour en primaire, les enfants apprenaient un mot nouveau, un seul; combien de temps leur faudrait-il pour combler l'écart?
Quant à vous, qui lisez ces lignes... vous pouvez aussi aider vos enfants à développer leur vocabulaire.
Je vous donne une première piste: bannissez truc, machin, chose, bidule... de votre langage et de celui de vos enfants. Cela pourrait être un bon point de départ.
Soyez créatifs!
Très bonne journée!
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